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L'inflation législative

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Résumé :

L'article revient sur les modalités de production de la loi et remet en perpective les limites liées aux nombreux amendements déposés en commission. La loi apparaît souvent inefficace et perd de sa normativité. Des solutions sont proposées comme la mise en place d'une sanction en cas de de non-application des lois.

 

 

 

 

« La loi est bavarde, précaire, banalisée […] au lieu d’être brève, solennelle et permanente ». Cette phrase prononcée par Renaud Denoix de Saint-Marc, haut fonctionnaire français, révèle bien une certaine crise de la loi d’un point de vue de son élaboration. Toutefois d’autres facteurs de d’ordre supranationaux peuvent aussi être à l’origine de son possible affaiblissement.

 

Avant toute chose, il est nécessaire de distinguer plusieurs types de lois. Il y a ainsi les lois constitutionnelles (Article 89), les lois organiques (Article 46), les lois de finances, les lois de financement de la Sécurité Sociale (Article 47-1), les lois de ratification de traité internationaux (Article 53), et les lois locales (Article 77), enfin il existe bien sûr les lois ordinaires.

 

S’il apparaît que la loi se révèle désacralisée par l’article 34 qui fixe désormais ses champs d’action, il semble qu’elle connaisse aussi des difficultés qui s’incarnent dans sa production mais aussi dans sa mise sous contrôle. De plus, les amendements qui, à l’origine, possédaient une réelle valeur solennelle comme l’amendement Wallon en 1875 qui fonda la République, embarrassent et obstruent désormais le travail législatif au vu de leur nombre gigantesque.

 

Face à ces difficultés il est nécessaire aussi de distinguer les solutions apportées pour résoudre cette crise. Enfin, il faut préciser que nous ne considérerons par le contrôle constitutionnel comme un affaiblissement de la loi, puisqu’il permet une meilleure qualité de cette dernière.

De quelle manière la loi connait-elle une crise liée à sa production ainsi qu’à son application ?

Après avoir montré les défaillances quantitatives et qualitatives de la production législative, nous observerons les effets ambivalents de la mise sous contrôle de la loi.

 

Tout d’abord, il semble qu’aujourd’hui, nous faisons face à une production législative défaillante sur le plan qualitatif et quantitatif. Ceci s’incarne par une inflation législative. Une centaine de lois sont votées chaque année, ce qui surcharge le Parlement et provoque une baisse de qualité rédactionnelle. Ainsi les lois sont aussi plus longues, elles sont composées de 22 articles en moyenne en 1990 contre 41 en 2010. Le cas de la loi Macron en 2014 s’avère réellement significatif. Ab inicio cette dernière comportait 106 articles. Aux termes de 495 amendements déposés en commission et 558 en séance, elle compte au moment de son vote 306 articles, ce qui nous permet de nous interroger quant à la cohérence de tous ses ajouts dans une même loi, qui recouvre de nombreux domaines variés. Cette inflation législative a tenté d’être réduite par le Conseil d’Etat a souhaité dans un rapport de 2006 ralentir cette inflation à travers des études d’impact de loi pour éviter des lois inutiles. Toutefois, il semble qu’aujourd’hui, des progrès soient encore nécessaire.

 

Ce phénomène s’accompagne d’une hausse des amendements. Rappelons que ce droit d’amendement est énoncé dans l’article 44 de la Constitution. Toutefois, nous pouvons observer une réelle hausse du nombre de ces amendements ce qui nuit aussi à la qualité rédactionnelle des lois et au travail législatif. Ainsi, sous la XIème législature on dénombre 50 851 amendements déposés, contre 234 000 sous XIIème législature dont 137 000 déposés sur la loi énergie. De plus, il existait une pratique d’obstruction du travail législatif, une sorte de filibustering français, réalisée par des cavaliers législatifs, afin de surcharger un texte d’amendement afin d’en rendre son adoption plus longue. Ces amendements n’avaient parfois aucun rapport avec le texte, voir même étaient risibles, comme le cas de l’amendement cocotier déposé en 1981 par Jacques Toubon. Le Conseil Constitutionnel a tenté de limiter ces dérives. Depuis une quinzaine d’année, il se réserve le droit de censurer les amendements n’ayant aucun rapport avec le texte. De même, depuis une décision du 23 janvier 1987, un amendement ne doit pas par son objet ou sa portée dépasser les limites inhérentes au droit d’amendent. Il y a une réelle volonté d’éviter que l’accessoire remplace le principal (Rapports Warsmann n°892, 2008). Aujourd’hui, de nouveaux mécanismes sont apparus comme le Temps Législatif Programmé (Nouveaux Article 49 et 55 du Règlement de l’Assemblée Nationale) qui met fin à cette inflation d’amendements. Ceci a permis de diminuer leur nombre et revenir à un niveau « normal » avec 75 858 amendements déposés sous la XIIIème législature.

 

Néanmoins, ces éléments participent à la baisse de la qualité rédactionnelle des lois. Ceci s’illustre dans les mots de J. Foyer : « La loi est souvent déclarative, elle constitue « un assemblage de neutrons législatifs, dont la charge juridique est nulle ». Le Conseil Constitutionnel exige depuis une vingtaine d’année qu’une loi soit intelligible et claire (Décision du 16 juillet 1999) et qu’elle doit présenter une portée normative (Décision du 29 juillet 2004). En effet, certaines lois ne possèdent pas ces dernières caractéristiques ce qui nuit à la nature intrinsèque de la loi. C’est le cas des lois mémorielles comme celle du 29 janvier 2001 sur le génocide arménien ou celle du 23 février 2005. Il se distingue aussi des lois dites testimoniales qui constituent des propositions de lois déposées par un parlementaire destinées à la communication locale et dans le but de rendre un bilan de mandat. Ainsi, les lois qui ne présentent pas de caractère normatif sont parfois censurées à juste titre. Ce fut le cas de la loi Fillon en 2005 fut censurée car elle ne comportait pas de dispositions normatives. Cette jurisprudence fur abandonnée depuis 2012

 

Quant à la qualité rédactionnelle de la loi, plusieurs solutions furent proposées, notamment par Jean Pierre Raffarin. Ce dernier, dans une circulaire du 26 août 2003, précise que la loi n’est pas le seul outil normatif et que l’application effective des textes déjà présent dans le corpus législatif permet parfois d’éviter le vote de nouveaux textes. De plus, aujourd’hui, un haut fonctionnaire qualifié est désigné pour être responsable de la rédaction, et depuis 2004, chaque ministère doit signer une charte sur la qualité de la réglementation. Dans la même perspective, la circulaire du 7 juillet 2011 doit permettre de garantir la simplification des règles inadaptées ou dépassées.

 

La révision de 2008 a aussi permis de corriger certaines incohérences législatives. Le comité Balladur a institué un poste de contrôleur juridique issu du Conseil d’Etat. Ceci s’incarne dans l’Article 34-1 de la Constitution, mis en application par la Loi Organique du 15 avril 2009. (Les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique. Sont irrecevables et ne peuvent être inscrites à l'ordre du jour les propositions de résolution dont le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu'elles contiennent des injonctions à son égard.)

 

Ainsi, la solution à ce problème s’incarne dans une mise sous contrôle ambivalente qui s’illustre premièrement en mettant fin aux lois inappliquées par décrets d’applications. En effet, selon l’article 21 de la Constitution, Le Premier Ministre s’assure de l’exécution des lois. Or, seulement un quart des lois peuvent s’appliquer directement sans textes additionnels. Ainsi en 2005 un rapport du Sénat montre que 222 lois sur 1000 votées depuis 1981 sont en suspens car ne sont pas accompagnées leur décret d’application. Pourtant, plusieurs mesures avaient été prises pour prévenir ce mal législatif. Ainsi, en1989, un rapporteur fut institué afin de suivre l’application des lois (Article 145 al 2 R.A.N). De même, en 2008, le Premier Ministre François Fillon imposa l’obligation de publier un décret dans les six mois suivant la promulgation d’une loi. Enfin le 10 mars 2011, P. Ollier, ministre des relations avec le Parlement créa un comité d’application des lois, toujours dans cette même visée.

 

Enfin, il apparait que par un « contrôle communautaire », la loi se retrouve sous un contrôle aux effets ambivalents. Il n’existe pas vraiment de contrôle, à proprement parlé, dit communautaire. Par cette expression, nous entendons comprendre comment les traités et normes communautaires exercent une influence forte sur le domaine législatif français. A partir de 1992 avec le traité de Maastricht, la loi perd son caractère de puissance initiale, si chère à Carré de Malberg dans ses écrits.

 

Tout d’abord est intégré l’article 88-4 qui transfère les propositions, puis en 1999 les projets communautaire dans la législation française. Même si l’article 88-6 et 88-7 précise que le Parlement a un droit de regard sur ces lois et qu’au travers du 88-6, il peut opérer un recours à la Cour de Justice de l’Union Européenne, la loi française est réduite à une exécution des normes communautaires.

 

Dans un rapport de 1993, le Conseil d’Etat estime que plus de la moitié des lois sont d’origine bruxelloise. De plus, grâce à une jurisprudence d’il y a quelques années, la Cour de Justice de la Commission Européenne peut écarter l’application de loi nationale contraire au droit européen

 

Enfin l’article 55 précise que les Traités ont une valeur supérieure à la loi. Ainsi, dans le cas d’une loi non conforme à un traité, le Conseil d’Etat ou la Cour de Cassation peut examiner la conformité de cette loi. De plus, un justiciable peut se tourner vers des cours supranationales comme la Cour Internationale de Justice ou dans le cas de l’Europe, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, ce qui peut apparaitre comme une remise en cause du droit français.

 

 

 

 Nous nous sommes efforcés de distinguer les modalités de la crise de la loi, à savoir des défaillances de production et une mise sous contrôle d’ordre communautaire. Il s’avère que de par l’inflation législative, la qualité des lois diminue fortement. D’autre part, si le contrôle d’application permet de résoudre un des aspects de la crise de la loi, à savoir l’absence de décrets d’application, le contrôle qu’exercent les normes communautaires induit une législation française exécutrice des normes communautaires. En revanche, le contrôle constitutionnel, permet quant à lui un renforcement de la loi dans le sens où il permet une amélioration qualitative des textes

 

                  Pour ce qui est de l’inflation législative, il semble important de noter que depuis la révision de 2008, le Parlement est aussi garant de l’évaluation des politiques publiques et donc qu’il se charge de l’évaluation des lois pour contrôler sa qualité. Il serait intéressant de réfléchir à des processus de gestion du nombre d’amendements, peut-être à travers un organe de contrôle de l’inflation législative. Cette fonction pourrait s’affilier à la commission des lois. Toutefois, dans le cadre de la démocratie, il serait regrettable d’arriver au stade de la limitation d’amendements voir d’articles, pour réduire l’inflation législative. C’est véritablement un réflexe que doivent acquérir nos parlementaires, afin d’éviter un paradoxe parlementaire comme le T.L.P, qui techniquement, limite le temps de débat dans une démocratie parlementaire.

 

Aussi, il serait souhaitable aujourd’hui de sanctionner la non-application des lois. La loi sur le cumul des mandats par exemple voté par la gauche ne rentrera en vigueur qu’en 2017. Si l’alternance se produit, aucune servitude n’engage le futur Premier Ministre à prendre les décrets d’application nécessaire pour cette loi, qui sera finalement inappliquée. Par ailleurs, il serait aujourd’hui sain pour le travail législatif que la sunset legislation soit une pratique répandue. Ainsi un texte de loi qui fait face à une situation donnée sera caduc quand les conditions qui exigeaient son vote n’existent plus. Cela provoquerait un désengorgement du domaine législatif et une amélioration quantitative des lois qui ne seront plus le moyen pour un député de « marquer son temps ».

 

                  Enfin, s’agissant des normes communautaires, il est nécessaire de voir que cet affaiblissement de la loi reste voulu puisque selon le principe de pacta sunt servanda, la France accepte de se soumettre à ces normes communautaires. Dans ce cas-là, le terme de crise de la loi, est à nuancer. Les QPC ont réellement remédié à ce souci dans le sens où les citoyens français n’ont pas comme premier réflexe en cas de requête de saisir le CEDH mais bien le Conseil Constitutionnel.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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