Agrippa d'Aubigné : Les Tragiques (1616)
Le massacre de la Saint-Barthélémy, par François Dubois, 1584, huile sur bois 94x154, Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne
La mort en payement n'a reçu l'innocence
Du pauvre qui mettait sa chétive espérance [...]
Quand nature sans loi, folle, se dénature
Quand Nature mourant dépouille sa figure,
Quand les humains privés de tous autres moyens,
Assiégés, ont mangé leurs plus fidèles chiens [...]
Même aux chevaux péris de farcin et de faim
On a vu labourer les ongles de l'humain
Pour chercher dans les os et la peau consumée
Ce qu'oubliait la faim et la mort affamée. [...]
Les grands qui autrefois avaient gravé leurs gloires
Au dos de l'Espagnol, recherchent pour victoires
Les combats sans parti, recevant pour ébats
Des têtes, jambes, bras et des corps mis à bas ;
Et de peut que les voix tremblantes, lamentables,
Ne tirent la piété des coeurs impitoyables,
Comme au taureau d'airain du subtil Phalaris
L'airain de la trompette ôte l'air à leurs cris [...]
Et toi, Sens insensé, tu appris à la Seine
Premier à s'engraisser de la substance humaine,
A faire sur les eaux du bâtiment nouveau,
Presser un pont de corps : les premiers chus dans l'eau,
Les autres sur ceux-là ; la mort ingénieuse
Froissait de têts les têts, sa manière douteuse
Faisait une dispute aux plaies du Martyr
De l'eau qui veut entrer, du sang qui veut sortir [...]
Sachez que l'innocent ne perdra point sa peine :
Vous en avez chez vous une marque certaine
Dans votre grand Palais, où vous n'avez point lu,
Oyant vous n'oyez point, voyant vous n'avez vu
Ce qui pend sur vos chefs en sa voûte effacée,
Par un Prophète ancien une histoire tracée
Dont les traits par-dessus d'autres traits déguisés
Ne se découvrent plus qu'aux esprits avisés.
Extraits issus de "Agrippa d'Aubigné, Les Tragiques, 1616, édition de Frank Lestingant, 1993, Gallimard, Paris.", librement remaniés. pp. 90-91 v.461-462, 485-494, pp. 178 v.681-688, pp. 245 v.585-592.