Le départ
Le vent pousse la mer - Zao Wou-Ki
Du temps de l’été,
Je restais un soir à veiller
Les berges du grand lac
Près de l’Horizon
Le Soleil dardait ses rayons
Pour toucher son amant
Dans mon livre ouvert
Il jeta quelques vers
Puis souffla sur les nuages :
Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit d’aujourd’hui
Hier, demain, nous fait voir notre image,
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui
Je levais mon front,
Et lavais mes mains de l’affront
Me détournant à demi
La nature t’attend dans un silence austère
L’herbe élève à tes pieds son nuage des soirs
C’est que ton soupir d’adieu à cette terre
Balance les beaux lys comme des encensoirs
Il pencha son front sur sa main,
Pensif et tout sourire,
Lassé du repentir
Partout où, sous ces vastes cieux,
J'ai pensé mon cœur et mes yeux,
Saignant d'une éternelle plaie ;
Partout où le boiteux Ennui,
Traînant ma fatigue après lui,
M'a promené sur une claie ;
Partout où, sans cesse altéré
De la soif d'un monde ignoré,
J'ai suivi l'ombre de mes songes ;
Partout où, sans avoir vécu,
J'ai revu ce que j'avais vu,
La face humaine et ses mensonges !
L’Horizon lui lança de la brume en baisers
Tandis qu’il se couchait dans l’abîme
Et l’on voyait décroître, en ce silence sombre,
Sans qu’un Homme ne le ranime,
Ses ulcères de feu sous une lèpre d’ombre
C’est le charbon d’un monde brisé
Un cœur s’agitait toujours,
Et de chaque artère il sortait des lueurs,
Comme si ce géant de lumière et de vie,
N’eût pas voulu mourir sans insulter la nuit
Et sans cracher sa lave à la face de la brume :
Bave de l’Azur, descend peu à peu !
Depuis les persiennes de l’Horizon,
Où s’élève une mathématique bleue
Désirs des hommes, Chagrin de Dion
L’Horizon se décrocha à moitié,
Qu’est-ce que cela peut te faire
Tu ne choisis pas ton enfer
En arrière à quoi bon chercher
Qu’autrefois sans toi se consume
C’est ici que ton sort s’allume
On ne choisit pas son dernier bûcher
Dans sa chute, l'astre se tourne, éprouvé
Qui donc es-tu, toi que dans cette vie
Je vois toujours sur mon chemin ?
Je ne puis croire, à ta mélancolie,
Que tu sois mon mauvais Destin.
Je veux être la tête fécondée
Vers qui monte et croit pas à pas
L’océan confus des idées
Que tu suis, que la nuit sème,
Qui remplit les autres de clarté,
Jette aux cyniques l’écume amère,
Et baigne les pieds nus d’Homère,
Dans les flots de l’éternité!
Je me tournai vers le grec
Ειταννός sur l'autre rive
Vers qui lentement dérive
Le soleil des épithètes
Pour qui gardes-tu nos regards
Et de l’esprit délicieux
En veux-tu baiser Platon ?
Là-bas, après que Nietzsche
T’aura pointé le fond,
Repus : l’âme en friche
Et une bouche blêmie
Quant au temple nous serons
Avachis nous ferons
De l’esprit sur les marches
Pour penser le devoir
Humbles sans croire
Il faut savoir savoir
Quand te reverrais-je
Aux ombres j’avouerai
Que l’amitié est une fête
Lorsque nous les regardons volés :
Les oiseaux sont des peintres
Ils rappellent aux enfants du siècle
Une nature morte pour la patrie
Plus que l’ardoise fine le marbre dur
Plus que la Seine le Tibre latin
Plus que Chaumont le Mont Palatin
Plus que le Lot l’air du Pirée
Étoile poussières de flammes
En août qui tombez sur le sol
Tout le ciel cette nuit proclame
L’hécatombe des rossignols
Mais que sait l’univers du drame…
Librement inspiré de l'Anthologie de la poésie française, Georges Pompidou, 1961