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Chemins vers l'éclair


Agnes Martin. Series On a Clear Day, 1973. Portfolio of thirty screen prints on Japanese rag paper. 12 x 12 inches each. Yale University Art Gallery. Leonard J. Hanna Fund.

Chemins vers l’éclair.

Premier mouvement : sensations.

I.

Je danse avec le rêve sur un air de nuit

*

Collines d’ivoire, champ de lys, fleurs de sel : l’hiver est là.

*

Le souffle du secret nocturne.

*

Le bras du soleil m’enlace et m’apaise.

*

La brume d’une prairie, le murmure de la rosée.

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L’oiseau chante sa joie au ruisseau : il frémit.

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Du ciel au teint d’argent tombe une goutte d’eau.

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Ses lèvres de sang, son souffle de soie : tout est pardonné.

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Sous la porte, un filet de lumière serpente. Ivresse : c’est le matin s’agite.

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Un chien fend le silence, des volets vibrent, un portail grince : le village est désert.

*

L’éclair déchire la feuille des vents.

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L’abeille murmure à la fleur son mystère. Emerveillée, elle livre ses trésors.

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Un serpent languissant se prélasse.

*

Une vague me caresse et m’invite à danser.

*

Les oiseaux s’envolent dans un éclat de rire.

*

Un enfant, une fleur : le baiser créateur.

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L’eau dort sur les pierres

Le vent siffle dans la brume

Une lueur m’ouvre la route :

J’épouse la nuit.

*

* *

Second mouvement : pensées.

II.

Les mots ont leur vérité propre : tendresse rime avec tristesse.

*

Le scepticisme est à la pensée ce que Platon est à la science.

*

Il n’y a pas d’ombres sans soleil.

*

Qui du ménestrel ou du roi était le véritable maître ?

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L’homme est marchand de lunes.

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Une ligne est inclinée, ronde ou sinueuse mais elle n’est jamais droite.

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Chaque nuit le soleil éclate en fragments d’étoiles.

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Le roseau et sa rivière : flux et refus.

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Le pessimiste anticipe l’hiver dans la fleur ; l’optimiste croit en la promesse des racines.

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Les mots sont des raisins gorgés de soleil.

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Les rives du fleuve étouffent le courant.

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Parmi l’ivraie, un bourgeon annonce l’aurore à venir.

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Sous l’écorce du philosophe : le poète.

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L’art est l’ancre des égarés.

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Chamfort a suivi la voie de l’isolement, Camus celle de la révolte : les deux sont morts tragiquement.[

*

Un singe est plus digne qu’un homme ; il ne ménage pas l’illusion.

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Le même flocon ne tombe jamais deux fois.

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Le philosophe observe un insecte et voilà qu’il oublie le soleil.

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La recette de l’amertume : prenez une dose de Pyrrhon, un zeste de Diogène, une pointe de Boudhisme, puis mélangez avec une sauce sur fond de La Bruyère, La Rochefoucauld, Chamfort et enfin faites revenir dans du Nietzsche et du Cioran. Félicitations : vous voilà allergique aux hommes !

*

La religion est le masque de la finitude.

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Combattre l’ironie sceptique par l’ironie de la lumière.

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J’en veux à Aristophane d’avoir représenté Socrate contemplant les nuages depuis sa nacelle.

Depuis, les hommes se méfient des philosophes.

*

Note : acheter Cioran puis tout brûler dans la cheminée.

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Une nuit j’ai eu le malheur d’ouvrir Hegel, depuis j’ai des cheveux blancs.

*

L’érudit n’est pas le sage : lire n’est qu’un jeu.

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Gare à la philosophie : l’air contient moins d’oxygène en haute montagne.

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Pourquoi vouloir des surhommes ? Nous avons déjà bien à faire avec l’homme.

*

Ils disent : le langage pervertit l’être. Nous disons : l’être pervertit le langage.

*

Agir, non-agir : deux essieux d’une même roue.

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L’homme de plaisir se consume de son propre feu ; il prépare son trésor de cendres.

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Le repos n’est pas un droit, c’est un devoir.

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Antonyme de paix : Amérique.

*

« Soulève le voile de la souffrance » m’enjoint le sceptique. Et après ?

*

Le paraître projette les ténèbres ; l’être révèle la lumière.

*

Le silence ouvre une fenêtre sur l’éclair.

*

8000 statues accompagnent l’empereur Qin Shi Huang dans sa tombe : même mort l’homme tremble à l’idée d’être seul.

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Ecrire c’est s’engager, tout vrai sceptique maudit la plume.

*

L’invention du feu ? Orgueil primitif.

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Chevaux, voitures, trains, avions : l’homme fuit toujours plus vite.

La légende veut que Diogène passait son temps sur la place en déclarant : « Je cherche un homme ». Il pourrait tout aussi bien continuer à chercher aujourd’hui : il ne serait pas mieux servi.

*

La nature est maître de l’homme, non l’inverse.

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La mort est l’ombre de l’homme.

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Le péché originel est politique : Eve fut le premier être libre.

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Que l’on m’explique pourquoi le suicide est absent de l’état de nature et j’embrasserai l’habit mondain.

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Les économistes sont brillants : ils déclenchent des incendies et gesticulent pour les éteindre.

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Le Misanthrope n’est pas une comédie, c’est le procès sanglant de la modernité. Ici et là, les bancs clairsemés de la défense font frémir le juge.

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On n’a jamais eu meilleure idée que le paradis pour justifier la domination des puissants.

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En observant le vieux Caton d’Utique je me demande : le mot vertu est-il encore dans le dictionnaire ?

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Les Grecs avaient le mot ‘pléonexie’, nous avons le mot ‘capitalisme.’

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J’ai peur de méditer : il me viendrait la bonne idée de vouloir tout quitter.

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Attention aux semeurs de tempêtes, Nietzsche lui-même est devenu fou.

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Un sceptique :

-Tout est relatif.

(Echos d’une fusillade)

-Quels barbares !

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Un peu de vin, des fleurs, un ruisseau, des rires : voilà toute la vie d’Epicure.

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Un véritable utilitariste n’aime point sa femme, il l’apprécie.

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Le scepticisme est le tombeau de l’aurore.

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Le poète est un veilleur de bougie.

*

Ne confonds pas ignorance et innocence. Fuis la première, embrasse la seconde.

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Le monde des livres est fabuleux à ceci près qu’il n’ait jamais existé.

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Les ombres danseront toujours sur la paroi.

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Il faut n’aimer que la chair et les os, tout le reste est insensé.

*

Il n’est pas nécessaire d’avoir eu faim pour combattre la famine.

*

Quand j’examine les vices d’autrui, c’est les miens que j’exhume.

*

L’idée du Moi : suprême arrogance philosophique.

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La vérité de la souffrance : il y a ceux qui la surmontent avec courage, ceux qui gémissent continuellement.

*

Il est impossible de jouer et ne pas jouer : le sceptique est ou n’est pas.

*

Un utilitariste : « Ma femme se noie, est-ce utile de la sauver ? »

*

Scène observée :

« - Comment allez-vous ?

-Mal. »

Silence gêné : on ne nous apprend pas à composer avec l’honnêteté.

*

La raison est un échec de l’intuition.

*

Les philosophes occidentaux étaient furieux de ce que l’Orient soit en avance sur la vérité. Il se sont vengés et ont rangé Confucius, Lao Tseu, Siddharta sous le nom de « sages ».

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Le tamis de la gloire révèle les Hommes.

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Il fut un temps où la philosophie avait plus de remèdes que la médecine, aujourd’hui c’est l’inverse.

*

Nietzsche et Cioran montrent le soleil mais leurs lecteurs fixent le doigt.

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Les mots doivent être comme le printemps ; concis et intenses.

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Les systèmes sont des arbres sans sève.

*

Ecrire est une affaire sérieuse : on devrait avoir honte de se présenter ainsi nu devant le public.

*

Ceux qui étudient l’homme ont deux possibilités : le suicide ou la révolte.

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Il est un air pour qui je donnerais tout Rossini, tout Mozart et tout Weber :

Le silence.

*

Il n’est pas vrai que l’inégalité soit permanente : chaque homme dort la moitié de sa vie.

*

Effrayé du silence, l’homme a inventé des dieux.

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Un homme sans amour est une nuit sans étoiles.

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Philosophes ! Trêve de plaisanterie, il est temps pour vous de redescendre dans la caverne.

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Un chien : nostalgie de l’amour inconditionnel.

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Le capitalisme est un roi sans tête.

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Le cartable de l’écolier est toujours vide.

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Le fou est toujours le plus sage : il danse avec l’inconscient.

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Technologie : toujours plus d’écrans avec le réel.

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Descartes est un criminel et la res cogitans est son forfait.

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L’Humanité est un voyageur mal renseigné.

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Nous ne jaillissons pas au monde, nous jaillissons du monde.

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Je me méfie du marteau : qui détruit des idoles en érige de nouvelles.

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Kant était formidable mais il n’aura jamais connu la joie du papillon.

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Une question n’est jamais innocente, Socrate était un vieillard cauteleux.

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Se polir comme un cristal, sculpter ses rainures.

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Celui qui renonce ne peut continuer à manger du homard. Ou bien il boit l’eau des rivières et chasse le faisan ou bien il est hypocrite.

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L’amour maternel est souvent dangereux. Plus tard, on n’embrasse que des statues de sel.

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Trop de penseurs du pourquoi, pas assez du comment.

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Je n’ai qu’une explication au scepticisme radical : ils étaient presbytes.

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La solitude est le mouchoir sur la nuque en sang.

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Le poète est le berger de l’Etre.

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Il faut toujours se méfier : l’opprimé est oppresseur en puissance.

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L’œil est dangereux : il pense trop.

*

J’ai retrouvé l’authenticité de l’humanité dans un tonneau de vin.

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J’ai rencontré des poètes, philosophes écrivains, mais des hommes, je n’en ai jamais vu.

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La lumière est sœur du feu et du sang.

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Toute plume qui caresse gaspille de l’encre.

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La philosophie n’est pas l’art de la question, c’est l’art du silence.

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Phénoménologie : bavardage sur la sensation.

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Les montagnes et les abysses sont les pavillons éternels de la mort.

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Le penseur nocturne mange à la table des ténèbres.

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Qu’est ce qu’un dieu ? Le parfum de la sérénité.

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Un prénom ne devrait pas mériter tant d’égard : il n’est que l’enveloppe d’un passager clandestin.

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Les premiers temps d’une religion doivent être passionnants : la horde de commentateurs n’a pas encore atrophié le message.

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Les économistes sont si prétentieux qu’ils démontreront bientôt comment aimer une femme.

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L’assassinat de Dieu est un échec : nous avons perdu notre sécurité sans gagner en liberté.

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Le renoncement est profondément bourgeois : l’égoiste se libère et les autres restent esclaves.

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On raconte que Diogène le cynique aurait dit à Alexandre « ôte toi de mon soleil ». Peut être inconsciemment aimait-il la lumière ?

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L’aphorisme est l’humilité du langage.

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Aime mais prend garde au retour de cendres.

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L’œil du fou est limpide.

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Cioran le pessimiste reconnaît lui-même qu’il ne parvient à se détacher de l’idée d’espoir. Pourquoi donc ne pas l’embrasser ?

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Un aveugle m’a demandé de l’aide hier. Je me suis demandé qui de nous deux guidait l’autre.

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La poésie est la royauté des enfants.

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Qu’est ce que l’homme ? Une anomalie statistique.

*

Trop d’interprétations, pas assez de faits.

Toute vérité est silencieuse.

*

* *

Troisième mouvement : signaux.

III.

*

Moissons éternelles, nos batailles n’ont ni commencement, ni fin.

*

Notre révolte couronnera les glaciers

*

Aime sans n’aimer que l’amour.

*

Doute mais ne deviens jamais pilleur d’espoir.

*

Sois le musicien de l’aurore, le héraut de la lumière.

*

N’oublie pas de te frapper le cœur, la souffrance est mère de sagesse.

*

Cesse de regarder : écoute.

*

Un linge toujours propre est inutile.

*

Nous fleurirons les terres brulées de l’amour.

*

Ne cherche pas à comprendre ton voisin, aime-le.

*

Il reste de l’encre pour nos testaments.

*

Ils tuent aux ordres du roi, mourrons au nom de la rose.

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L’indignation est complice du crime : c’est un murmure inaudible.

*

N’embrasse jamais les lèvres de la haine.

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Si naître est absurde, vivre est un devoir.

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Ne crains pas le mouvement du dé ; embrasse le résultat.

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Sois résolu, non convaincu.

*

Nous ouvrirons le chemin de l’éclair depuis les ténèbres.

*

Envol.

Tout penseur devrait brûler son œuvre : oublie !

* *

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